En ces heures douloureuses de division et de brouillard, soyons plus que jamais les "tisserands" du philosophe Abdennour Bidar : celles et ceux qui tissent les liens, partout, tout le temps. Par tous les temps.
Texte
« Comment agir ? Avec qui ? La réponse est simple. Partout où un lien s'est rompu, et avec tous ceux qui s'en indignent. Que chacun entreprenne donc de lutter là où il est, dans chaque quartier, chaque commune, chaque association ou milieu professionnel, chaque pays, chaque culture. Sans eau, sans terre, sans lumière.
Tout ce qui nous relie nous rend plus forts. C'est une évidence pour tout le monde. Qui n'est pas convaincu d'avance, en effet, que « créer du lien » est une bonne chose ? Et puis, qui n'est pas persuadé aussi d'avoir déjà tous les liens – famille, amis, etc. – dont il a besoin ? On pourrait donc me rétorquer que les Tisserands enfoncent des portes ouvertes ! Mais combien de nos liens nous nourrissent vraiment ? Combien nous inspirent et élèvent notre niveau de conscience ? Et d'autre part, quand on veut passer à l'action, c'est-à-dire travailler effectivement à raccommoder le tissu déchiré du monde, par où commence-t-on ? Il ne suffit donc pas de la conviction théorique qu'« il faut recréer du lien ». Ici comme ailleurs se pose le problème du passage à l'action. Comment recréer concrètement du lien ? Comment faire converger aussi une multitude d'initiatives isolées, qui vont dans ce sens, pour leur donner la puissance d'une mobilisation collective ? Mais pour passer à l'action, il faut surmonter la difficulté que représente la compréhension de ce qu'est un lien nourricier, une vie bien reliée, une civilisation du lien.
Le Triple Lien, à soi, à autrui et à la nature, est nourricier parce que sans lui notre ego et notre humanité se dessèchent et dépérissent comme une plante laissée trop longtemps sans eau, sans terre, sans lumière :
Le lien à soi : notre « petit moi » se rabougrit si nous vivons sans lien intérieur avec notre « moi des profondeurs », qui est la source ou ressource de vitalité, d'inspiration, de sagesse et d'amour au cœur de nous-mêmes, mais dont nous sommes spontanément inconscients. […]
Notre petit moi se rétrécit un peu plus si nous négligeons notre lien social, qui est sa deuxième source / ressource de vitalité. […]
Notre petit moi finit enfin de s'amoindrir et de mourir à petit feu s'il subit l'asphyxie d'une existence urbaine sans contact suffisant avec l'oxygène physique et spirituel de la nature.
Abdennour Bidar Les Tisserands, © Éditions Les Liens qui Libèrent, 2016.